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Pour bien soigner l’hôpital il faut d’abord faire le bon diagnostic

Claude Evin - 15 juin 2020 - Santé
Pour une organisation territoriale d'accès aux soins

La crise a mis les projecteurs sur les maux de l’hôpital public et des solutions sont apparues comme évidentes : l’hôpital manque de moyens ; il faut réouvrir des lits, sortir de la logique comptable et revenir sur la T2A. Il faut faire davantage confiance aux soignants pour prendre les décisions…  

Le Ségur de la santé doit prendre en compte ces interpellations et y apporter des réponses. Au sortir de la crise aigüe il devient utile de rappeler certains éléments de contexte qui peuvent éclairer le débat public sur les enjeux de notre système de santé et tracer quelques pistes de réponse.

Il est un sujet que personne ne discute. Les rémunérations des personnels hospitaliers doivent être revalorisées. Non pas parce qu’ils ont répondu avec engagement à la tension qui pesait sur eux, mais parce que c’est nécessaire pour recruter et fidéliser ces personnels dans nos établissements.

L’hôpital manquerait-il de moyens financiers ? La France est, avec l’Allemagne, le pays qui, en Europe, dépense le plus pour sa santé au regard de sa richesse (11,2 % du PIB en 2018). Selon une étude réalisée par l’Union européenne et l’OCDE, (Profil de santé par pays 2019) la France consacre 32 % de ses dépenses de santé aux hôpitaux, soit une part plus élevée que la moyenne des pays de l’UE qui se situe à 29%. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le financement des hôpitaux n’a pas diminué au fil des ans. Leur financement par l’assurance maladie qui est voté par le Parlement (l’ONDAM) augmente chaque année en moyenne d’un peu plus de 2% et la consommation de soins hospitaliers dans les établissements publics représentait 94,5 milliards d’euros en 2018 alors qu’elle n’en représentait que 78,3 milliards d’Euros en 2009. L’hôpital souffre moins d’une insuffisance de son financement que des difficultés d’organisation de notre système de santé.

 

Nous savons que les dépenses de santé progressent « naturellement » d’environ 4 % chaque année. Sauf à augmenter fortement les cotisations sociales ou laisser des financements autres que ceux fournis par la sécurité sociale apporter les compléments, la maitrise de l’évolution de ces dépenses publiques s’impose si nous voulons maintenir notre système de solidarité nationale et ne pas reporter sur les générations futures les dépenses que nous ne pourrions pas financer nous-même. La France est le pays européen où la part des dépenses de consommation de biens et de soins médicaux payée directement par les ménages est la plus faible (9% alors qu’elle est de 16 % en moyenne dans l’ensemble des pays de l’UE). C’est ce maintien d’un haut niveau de dépenses socialisées qui justifie la préoccupation « comptable » des pouvoirs publics et des gestionnaires des établissements souvent critiquée au cours de ces dernières semaines.

 

Les maux de l’hôpital viendraient pour certains de son mode d’allocation de ses ressources. Le tout T2A (tarification à l’activité) aurait perverti le système. D’abord, les hôpitaux publics ne sont financés qu’à 58 % sous cette forme et non en totalité. L’activité de psychiatrie qui, elle n’est pas financée en T2A mais en dotation globale, ne se porte pas mieux pour autant. La T2A a des effets pervers c’est vrai, mais il n’existe pas de système de financement idéal. Le budget global qui précédait la T2A conduisait des établissements à ne plus accepter fin novembre certains patients trop lourds au motif que leur dotation financière annuelle était presque toute consommée. Le chantier des modes de financement est en cours suite au rapport Aubert qui propose que la tarification à l’acte ou à l’activité soit combinée avec d’autres modes de rémunération plus forfaitaire pour garantir à la fois productivité, réactivité, pertinence et suivi préventif des malades chroniques.

 

Nous avons connu au cours de cette crise des tensions sur la capacité des établissements à prendre en charge des patients particulièrement dans certaines régions. Avant de se prononcer pour une augmentation de nos capacités actuelles d’accueil, il faut noter que la France dispose d’un nombre de lits par habitant supérieur à la majeure partie des pays de l’Union Européenne. Le nombre de lits curatifs en hospitalisation complète a diminué au cours des dernières années au bénéfice d’hospitalisation à temps partiel, mais le taux d’occupation de ces lits est resté le même depuis 2000. Il est encore aujourd’hui de 75,6 % ce qui signifie qu’en dehors d’une période exceptionnelle de crise comme nous n’en n’avions jamais connue, nos capacités de prise en charge ne sont pas saturées. Alors, doit-on disposer dans tous les établissements de santé d’une capacité supérieure aux besoins courants pour faire face à une situation de crise ou ne doit-on pas avoir une organisation souple permettant de s’adapter à des besoins difficilement prévisibles ? D’autant que d’autres critères doivent aussi nous interroger pour apprécier nos marges de manœuvre. Nous avons en effet une durée moyenne de séjour dans nos hôpitaux qui est la plus élevée des pays de l’UE et le nombre d’hospitalisations évitables y est plus élevé que dans bon nombre des pays européens.

 

Ces chiffres décrivent naturellement une situation globale qui masque des situations ponctuelles à prendre en compte. Mais ces chiffres montrent que c’est l’organisation interne de nos établissements qu’il faut continuer d’interroger ainsi que leur articulation avec l’ensemble des autres acteurs de santé.

 

Concernant l’organisation interne des établissements, la crise a mis en évidence le rôle primordial des soignants et conduit certains à revendiquer qu’ils assurent davantage de responsabilité dans les décisions à prendre. Même si les hôpitaux publics sont dirigés par un responsable administratif, leur gouvernance est originale puisqu’elle associe à cette direction les représentants élus du corps médical. Dans de très nombreuses situations ce duo (voire le trio dans les CHU auxquels sont associés les doyens) fonctionne de manière cohérente et les grandes décisions sont prises en commun.

Dans l’activité quotidienne des établissements, ce sont des médecins qui dirigent les services et les pôles, ces derniers permettant de contractualiser des objectifs et des moyens. Un bilan et une évaluation du fonctionnement des pôles réalisés en 2014 par les conférences de directeurs et de présidents des commissions médicales d’établissement avait mis en évidence que le contenu de ces contractualisations était très variable notamment sur les délégations de gestion et l’intéressement. Par ailleurs, les modes de désignation des chefs de pôle et le fonctionnement de ces pôles méritaient d’être améliorés. Beaucoup de propositions qui étaient formulées dans ce rapport sont encore aujourd’hui d’actualité et tardent à être mises en œuvre.

 

On demande beaucoup à l’hôpital parce que notre système de santé est encore trop cloisonné entre les établissements et la ville, entre le secteur public et le secteur privé, entre le sanitaire et le médico-social. On l’a vu au début de cette crise où les capacités d’accueil qui existaient dans les cliniques privées ont parfois été sollicitées avec retard. Notre système de santé est riche de la diversité de ses modes de prise en charge. Mais tout le monde ne peut pas tout faire et le faire bien. La graduation et la complémentarité de l’offre de soins entre les établissements publics qui était au cœur de la création des groupements hospitaliers de territoire a encore besoin d’être consolidée. La crise aura montré que, pour faire face aux besoins de la population, les établissements publics et les établissements privés devaient travailler ensemble. Ces coopérations qui, devant l’urgence, se sont parfois mises en place de manière informelle doivent maintenant se renforcer. C’est au niveau territorial des bassins de vie qu’il faut apprécier et mettre en œuvre la meilleure organisation de l’accès aux soins en y associant dans une gouvernance à définir les élus et les collectivités territoriales.

 

La crise a aussi mis en évidence les inégalités populationnelles et territoriales de santé. Or ces inégalités dépendent moins de l’offre de soins que des conditions sociales de vie de la population. Les politiques de logement, de transports, d’emploi, les préoccupations environnementales, sont autrement plus déterminantes pour garantir un bon état de santé que ne l’est la proximité d’un service hospitalier. C’est sur ces sujets que l’intérêt de la prévention prend tout son sens. Les collectivités territoriales qui souhaitent s’investir pour améliorer l’état de santé de leur population ont la possibilité de jouer un rôle déterminant en mettant la préoccupation sanitaire au centre des décisions qu’ils sont amenés à prendre dans ces domaines dont ils ont la compétence.

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