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La santé avant tout

Claude Evin - 15 mars 2020 - Santé
La santé avant tout

La protection de la santé, face au risque pandémique, est un principe qui s’impose face à des enjeux économiques ou prioritairement à l’exercice de certaines libertés

Plusieurs expressions du Président de la République dans son allocution télévisée du jeudi 12 mars ont manifesté une volonté claire : la protection de la santé de nos concitoyens passe avant toute autre considération : « Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu’il en coûte » ; « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».

Par ailleurs, des mesures de restriction des libertés collectives et personnelles sont prises. Il en est, par exemple, ainsi de l’interdiction de rassemblements, y compris religieux.    

Personne ne conteste ces choix et c’est très bien.  Ils pourront indirectement mettre en péril certaines activités économiques, mais la protection de la santé prime sur les enjeux économiques. Les restrictions de réunions ou de manifestations dans ce contexte ne soulèvent aucun débat.

Le propos ici n’est pas de commenter ces mesures mais d’en profiter pour rappeler qu’en différentes circonstances ou sur différents sujets, la protection de la santé a été considérée comme devant primer sur tout autre principe.

 

La protection de la santé prime sur le droit de propriété et sur la liberté d’entreprendre

Le Conseil constitutionnel a fait prévaloir le principe de protection de la santé inscrit au 11ème alinéa du préambule de la constitution de 1946 sur tous les autres droits constitutionnellement protégés auxquels il était confronté et avec lesquels il devait être « concilié ».

Il en est notamment ainsi de dispositions qui ont été introduites dans la loi n° 91-132 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme.

Avant sa publication, ce texte avait fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés qui considéraient que les dispositions interdisant la publicité directe et indirecte pour le tabac ainsi que celles limitant la publicité pour les boissons portaient atteinte aux principes fondamentaux du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre.

Dans sa décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, après avoir admis que la prohibition de la publicité et de la propagande en faveur du tabac serait « susceptible d’affecter dans son exercice le droit de propriété d’une marque concernant le tabac ou des produits du tabac », le Conseil constitutionnel a validé les dispositions concernées considérant « que ces dispositions trouvent leur fondement dans le principe constitutionnel de protection de la santé publique ». Dans la même décision, il a aussi rappelé que la liberté d’entreprendre « n’est ni générale ni absolue » alors que la valeur constitutionnelle de cette liberté a été reconnue dans la décision 81-132 DC du 16 janvier 1982 à propos de la loi de nationalisation.  

Il est ainsi tout à fait légitime de prendre des dispositions (législatives, en l’occurrence ici) qui portent atteinte à l’activité économique, à condition qu’elles soient adaptées à la situation et que ces mesures ont pour finalité de protéger la santé de la population.

(Cela ne signifie pas que le financement de la santé ne doit pas intégrer la question économique, et notamment l’obligation de maitriser l’évolution de sa dépense si on veut maintenir la soutenabilité d’un financement socialisé par un régime de sécurité sociale)

 

La protection de la santé peut justifier la restriction de certaines libertés

Certaines mesures annoncées par le premier ministre le 14 mars pourraient être interprétées comme étant privatives de libertés individuelles et collectives. Les lieux de culte, par exemple, restent ouverts, mais les rassemblements et les cérémonies sont reportés. On pourrait considérer qu’il s’agit là d’une atteinte aux principes définis à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme garantissant à toute personne « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. ». Personne, je pense ne brandira à l’égard des pouvoirs publics l’accusation d’avoir porté atteinte ainsi à ces valeurs. Mais il est aussi intéressant de se souvenir que le Conseil constitutionnel a déjà considéré, par exemple, que la protection de la santé prévalait sur un principe fondamental en termes de liberté, à savoir le droit de grève.  

C’est ainsi que, dans sa décision concernant la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires (Décision 80-117 DC du 22 juillet 1980), le Conseil constitutionnel a considéré que la reconnaissance du droit de grève (qui lui aussi a valeur constitutionnelle) « ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la protection de la santé ».

Certes, les exemples cités précédemment, concernent des textes de loi qui ont donc été adoptés par le législateur, mais la partie législative du code de la santé publique prévoit justement (art. L. 3131-1, CSP) qu’« en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. » Il faut noter que cette possibilité donnée au ministre chargée de la santé n’est assortie d’aucune restriction précise, sinon que la mesure prise soit proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu. C’est d’ailleurs, sur le fondement de cet article qu’ont été déjà pris différents textes au cours de ces derniers jours.

Enfin, il faut rappeler que notre législation sanitaire prévoit des dispositions qui s’opposent à la manifestation d’une liberté individuelle lorsqu’il s’agit de garantir la protection de la santé. Il en est par exemple ainsi de l’obligation de vaccination (art. L. 3111-2, CSP) qui s’oppose au principe du consentement protègeant l’inviolabilité du corps humain affirmé à l’article 16-1 du code civil.

 

En conclusion

Les nécessaires mesures qui sont prises aujourd’hui par le gouvernement pour réduire les risques de diffusion du coronavirus ne soulèvent à juste raison aucune contestation bien qu’elles peuvent porter atteinte à un certain nombre de principes économiques et qu’elles privent la manifestation de nos libertés individuelles et collectives. Il est intéressant de constater, à travers quelques exemples, que la protection de la santé de nos concitoyens passe, d’une manière générale, avant tout autre principe fusse-t-il constitutionnel.  

 

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