• "Rien de ce qui est humain ne m'est étranger"

    Térence

  • "Le plus beau métier du monde est de réunir les hommes"

    Antoine de Saint Exupéry, cité par Jean Monnet

Le personnel de la recherche peut valoriser ses travaux, sous certaines conditions

Claude Evin - 23 avril 2021 - Santé
Personnel de la recherche

Les personnels de la recherche (PU-PH, PH, Ingénieurs, techniciens) rattachés à des universités ou à des établissements publics de santé sont souvent tentés, à juste raison, de participer à la création d’une entreprise afin de valoriser leurs travaux de recherche ou tout au moins d’y apporter son concours scientifique. C’est tout à fait possible, à condition de respecter certaines règles.

Une vigilance à avoir pour les hôpitaux publics et les universités

Nous sommes souvent interrogés par des établissements publics de santé qui découvrent qu’un de leurs PU-PH, mais aussi éventuellement d’autres personnels de leur établissement, se sont engagés avec des partenaires extérieurs dans la création d’une entreprise pour valoriser leurs travaux de recherche réalisés dans l’établissement, sans que, pour prendre cet engagement, ils aient respecté les différentes étapes prévues dans le code de la recherche.

 

Cette découverte se fait par exemple au moment où, pour déposer un dossier auprès d’un organisme de financement, il est demandé à la « startup » de fournir les éléments du partenariat avec l’hôpital ou, parce que, pour amplifier le projet concerné, le professionnel qui en est à l’origine se retourne vers son établissement pour obtenir un appui. Lorsqu’on se rend compte alors que tout cela n’a pas été lancé dans les règles, il est plus compliqué de tout reprendre « à zéro ».

 

Si les travaux de recherche sont le résultat de la mobilisation intellectuelle des agents publics concernés, ceux-ci n’en sont pas pour autant totalement propriétaires. Ces travaux ont été conduits grâce à des moyens matériels et humains de l’établissement public qu’il est nécessaire de prendre en compte. Par ailleurs, statutairement, le fonctionnaire, mais aussi le praticien hospitalier temps plein, qui n’étant pas fonctionnaire est quand même régi par la même disposition, « consacre l’intégrité de son activité aux tâches qui lui sont confiées » (art 25 septies de la loi n° 83-634), sauf si un dispositif législatif spécifique le prévoit, ce qui est justement le cas de la valorisation de la recherche.

 

Ce sont les articles L. 531-1 à L. 531-17 du code de la recherche ainsi que le décret n° 2019-1230 du 26 novembre 2019 qui régissent les dispositions relatives à la participation des personnels de la recherche à la création d’entreprise ou à l’apport d’un concours scientifique ou d’une participation au capital d’une entreprise existante. La loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur a apporté quelques modifications au texte antérieur.

 

Qui sont concernés par ces règles ?

Les établissements concernés sont ceux décrits à l’article L. 112-2 du code de la recherche, c’est-à-dire, notamment, « les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel et les autres établissements publics d’enseignement supérieur, les établissements publics de recherche et les établissements de santé ».

 

La loi de décembre 2020 a ajouté les établissements publics dont les statuts prévoient une mission de recherche et dont la liste doit faire l’objet d’une publication par décret qui n’est pas publié à ce jour.    

 

Concernant les personnels, il s’agit des « fonctionnaires civils des services publics et entreprises publiques » (art. L. 531-1, C. Rech.). Sont aussi concernés les enseignants-chercheurs (PU et MCU). L’article 10 du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant leurs dispositions statutaires le précise. Il en est de même des praticiens hospitaliers au regard de l’article L. 6152-4 du code de la santé publique.

 

Les agents non fonctionnaires, y compris les titulaires d’un doctorat recrutés en tant qu’agents contractuels de droit public sur le fondement de l’article L. 422-3 du code de la recherche ou de l’article L. 952-6-2 du code de l’éducation peuvent bénéficier des mêmes dispositions sous réserve des adaptations nécessaires dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. (art. L. 531-17, C. Rech.)

 

Plusieurs situations sont envisageables qui nécessitent toutes une autorisation de l’autorité dont relève le fonctionnaire ou l’agent public

Participer à la création d’une entreprise dont l’objet est de valoriser des travaux de recherche et d’enseignement

L’entreprise doit avoir pour objet « d’assurer, … la valorisation de travaux de recherche et d’enseignement, que ces travaux aient été réalisés ou non par ces fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions ». (art. L. 531-1, C. Rech.). Cette dernière précision a été modifiée par la loi de décembre 2020. Le texte précédent n’encadrait que la création d’une entreprise dont l’objet était de valoriser les travaux réalisés dans l’exercice des fonctions du personnel de recherche concerné. La nouvelle formulation oblige à respecter le cadre ainsi défini y compris lorsqu’il s’agit de la création d’une entreprise dont l’objet est de valoriser des travaux réalisés en dehors des fonctions professionnelles. 

 

Il est nécessaire que cette valorisation, et donc que la finalité de l’entreprise, s’inscrive dans un contrat conclu entre l’entreprise et la personne publique ou l’entreprise publique ou une personne morale mandatée par ces dernières. Mais, avant la conclusion de ce contrat et avant l’immatriculation de l’entreprise au registre du commerce et des sociétés, une autorisation doit être demandée par le fonctionnaire ou l’agent public auprès de l’autorité dont il dépend (le CH pour les personnels relevant de la fonction publique hospitalière ou pour les PH et l’Université pour les MCU et les PU).   

 

Cette autorisation fixe « la quotité de temps de travail et la nature des fonctions que l’intéressé peut éventuellement conserver dans l’administration ou l’établissement où il est affecté » (art. L. 531-4, C. Rech.). A la date d’effet de l’autorisation, l’agent public concerné est, soit détaché dans l’entreprise, soit mis à disposition de celle-ci. S’il est mis à disposition, l’entreprise rembourse l’organisme public dans les conditions prévues par voie réglementaire. 

 

Être associé ou dirigeant d’une entreprise dont l’objet est de valoriser des travaux de recherche et d’enseignement

La loi du 24 décembre 2020 a introduit cette nouvelle disposition. Il est possible pour les fonctionnaires ou des agents publics d’être « autorisés à participer à titre personnel, en qualité d’associé ou de dirigeant, à une entreprise dont l’objet est d’assurer, … la valorisation de travaux de recherche et d’enseignement ». (art. L. 531-6, C. Rech).

 

Cette disposition, a été publiée après le décret de 2019 limitant les autorisations à des périodes de trois ans dans la limite de dix ans. Le texte réglementaire n’avait pas prévu cette disposition. Formellement, la limite de trois ans ne s’applique pas à cette situation. 

 

Apporter son concours scientifique à une entreprise existante et/ou participer à son capital

Au regard de l’article L. 531-8 du code de la recherche, un fonctionnaire ou un agent public peut « être autorisé à apporter son concours scientifique à une entreprise qui assure, en exécution d’un contrat conclu avec une personne publique, une entreprise publique ou une personne morale mandatée par ces dernières, la valorisation de travaux de recherche, que ces travaux aient été réalisés ou non par les intéressés dans l’exercice de leurs fonctions ».

 

Les conditions dans lesquelles le fonctionnaire ou agent public concerné apporte son concours scientifique à l’entreprise sont définies dans une convention conclue entre l’entreprise et la personne publique. Cette convention fixe notamment la quotité de temps de travail que l’intéressé peut consacrer à son activité dans l’entreprise dans la limite de 50 % de son temps de travail (art. 5 du décret n° 1019-1230).

 

Lorsque la collaboration avec l’entreprise n’est pas compatible avec l’exercice d’un temps plein dans les fonctions publiques exercées par l’intéressé, celui-ci est mis à disposition de l’entreprise.

 

Le fonctionnaire peut également être autorisé à détenir une participation dans le capital social de l’entreprise existante. (art. L. 531-9, C. Rech.). Il peut à ce titre exercer toute fonction au sein de l’entreprise à l’exception d’une fonction de dirigeant.

 

Participer aux organes de direction d’une société commerciale

Cette possibilité n’est offerte qu’aux fonctionnaires qui assurent les fonctions de président, de directeur ou de chef d’établissement d’un établissement public de recherche ou d’un établissement public d’enseignement supérieur et de recherche (art. L. 531-13, C. Rech.). Ces fonctionnaires peuvent, à titre personnel, être autorisés à être membres des organes de direction d’une société commerciale, « afin de favoriser la diffusion des résultats de la recherche publique ».

 

Leur participation dans le capital social de l’entreprise ne peut excéder 32 % de celui-ci ni donner droit à plus du même pourcentage des droits de vote. Ils ne peuvent percevoir de l’entreprise d’autre rémunération que celle prévue sous la forme fixe annuelle votée par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance.      

 

Des conditions générales s’imposent pour l’ensemble des situations

L’autorisation est accordée sous certaines conditions

Les autorisations pour participer à la création d’une entreprise, pour apporter un concours scientifique à une entreprise existante, ou être membre des organes de direction d’une société commerciale sont accordées par période de trois ans maximales, dans la limite d’une durée totale de dix ans. (art. 2 du décret n° 2019-1230). Les intéressés ne peuvent pas représenter la personne publique amenée à négocier le contrat avec l’entreprise. L’autorité dont relève l’agent dispose de quatre mois à compter de la demande de l’agent pour se prononcer. L’autorité concernée peut, préalablement à sa décision, saisir la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique dans un délai d’un mois à compter de la demande de l’agent (art. 3 du décret n° 2019-1230).

 

L’article L. 531-14 du code de la recherche précise un certain nombre de critères qui peuvent justifier le refus d’autorisation. Elle est refusée : 

  • Si elle est préjudiciable au fonctionnement normal du service public ;
  • Si, par sa nature ou par ses conditions et modalités et eu égard aux fonctions précédemment exercées par le fonctionnaire, la participation de ce dernier porte atteinte à la dignité de ces fonctions ou risque de compromettre ou mettre en cause l’indépendance ou la neutralité du service ;
  • Si la prise d’intérêts dans l’entreprise est de nature à porter atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la recherche ou à remettre en cause les conditions d’exercice de la mission d’expertise que le fonctionnaire exerce auprès des pouvoirs publics ou de la mission de direction qu’il assure.

A l’exception de la participation à la création d’une entreprise, le fonctionnaire peut être autorisé à détenir une participation au capital social de l’entreprise qu’à condition de ne pas avoir, au cours des trois années précédentes, en qualité de fonctionnaire ou d’agent public, exercé un contrôle sur cette entreprise ou participé à la passation de contrats et de conventions conclues entre l’entreprise et le service public de la recherche.

 

Les contrats entre l’établissement public et l’entreprise concernée doivent, concernant la création de l’entreprise ou l’apport d’un concours scientifique, avoir été conclus dans un délai d’un an après la délivrance de l’autorisation. A défaut, l’autorisation donnée devient caduque.

 

Les fonctionnaires ou agents publics concernés qui poursuivent leurs fonctions publiques ne peuvent participer « ni à l’élaboration ni à la passation de contrats et conventions conclues entre l’entreprise et le service public de la recherche ». Cette notion de « service public de la recherche » n’est pas précisément définie, mais on peut considérer qu’elle recouvre les services ministériels, les divers organismes publics de recherche et les établissements publics qui assurent une mission de recherche.

 

L’autorisation est abrogée ou son renouvellement est refusé si les conditions qui avaient permis sa délivrance ne sont plus réunis ou si le fonctionnaire n’a pas respecté les obligations législatives concernées. Il ne peut poursuivre son activité dans l’entreprise que dans les conditions prévues à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires. Il ne peut plus conserver directement ou indirectement un intérêt financier quelconque dans l’entreprise. (art. L. 531-16, CSP)

 

Les revenus tirés de cette valorisation sont limités et doivent être communiqués à l’autorité concernée

L’autorité dont relève le fonctionnaire ou l’agent public concerné est tenue informée des revenus qu’il perçoit selon sa situation dans l’entreprise, aussi bien en raison de sa participation au capital de l’entreprise, des cessions de titres auxquelles il procède ou des compléments de rémunération qui lui sont versés. Ces compléments de rémunérations prévus pour les fonctionnaires et les non fonctionnaires qui participent à la création d’une entreprise ou qui y apportent leur contribution financière ne peuvent « excéder le traitement brut annuel soumis à retenue pour pension correspondant au second chevron du groupe hors échelle E. » (art. 6 du décret n° 2019-1230).

 

Concernant les fonctionnaires et non fonctionnaires autorisés à participer aux organes dirigeants d’une société commerciale, le montant annuel qu’ils peuvent percevoir, « à l’exception des revenus issus de la cession de parts sociales, ne peut excéder le traitement brut annuel soumis à retenue pour pension correspondant à l’indice brut 931 » (art. 6 du décret n° 2019-1930)

 

Au terme de l’autorisation, le fonctionnaire peut conserver une participation au capital de l’entreprise

Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’autorisation est accordée pour une durée limitée (10 ans). En cas de non renouvellement de cette autorisation dans cette période de dix ans, au terme de cette autorisation ou en cas de fin anticipée de celle-ci, le fonctionnaire ou l’agent public peut conserver une participation au capital social de l’entreprise dans la limite de 49 % du capital. Il informe cette autorité du montant qu’il a conservé et des modifications ultérieures de sa participation.

Ces articles peuvent également vous intéresser :